mercredi 26 décembre 2012

Enjeux de la zone E-1 : le lien qu’elle assure entre Jérusalem et Maalé Adoumim s’avère vital pour Israël




Le site appelé E1 (Est 1) longe Jérusalem à l’est et couvre 1 200 hectares de terrain, inhabités pour le moment et appartenant en grande majorité à l’Etat. Il fait partie de la municipalité de Maalé Adoumim. Le ministère de la Construction et du Logement entend le développer afin de relier à Jérusalem les 36 000 habitants de Maalé Adoumim.

En son temps, Itzhak Rabin était déjà favorable à l’idée d’établir une continuité urbaine entre les deux villes. Aujourd’hui, le programme E1 prévoit la construction de 3 500 logements, d’un centre commercial et d’hôtels. Il a suscité une levée de boucliers à travers le monde, les Palestiniens affirmant qu’il interdira toute continuité entre les parties nord et sud d’un futur Etat palestinien en Judée-Samarie. Adoptant ce dernier point de vue, les Etats-Unis cherchent à dissuader les Israéliens, afin de ne pas compliquer davantage les négociations en vue d’un accord de paix.

Pour Israël, l’intérêt de la zone E1, que la communauté internationale tend à ignorer, ne se limite pas à relier Jérusalem-Ouest à Maalé Adoumim. Il permettra également de conserver un passage vers la mer Morte à l’est, qui servira aussi de ceinture de sécurité pour les banlieues juives de la capitale. S’il en perd le contrôle, Israël craint de voir une recrudescence de constructions palestiniennes dans ce secteur menacer Jérusalem, bloquer le développement de la ville du côté est, et affaiblir le contrôle israélien sur la route menant à Jéricho. Cette artère revêt en effet une importance stratégique majeure pour Israël, puisqu’elle permet, en temps de guerre, de transporter troupes et équipements vers l’est et le nord, via la vallée du Jourdain.



Déjà, des constructions sauvages palestiniennes la rendent moins sûre.

La nécessité de relier Maalé Adoumim à Jérusalem fait pratiquement consensus en Israël. Pourtant, l’opposition américaine a jusque-là bloqué toute construction ; le seul bâtiment à avoir vu le jour est le quartier général de la police responsable de la Judée-Samarie.

Consolider le statut de capitale de Jérusalem


Il a coulé beaucoup d’eau sous les ponts depuis l’approbation des premières étapes du programme de construction. La taille de la zone prévue s’est réduite comme peau de chagrin, érosion due à l’arrivée de Bédouins et à des constructions palestiniennes illégales. Le couloir menant à Jérusalem en a lui aussi subi les conséquences, puisqu’il est passé de 2 à 1 km de largeur. Et ce n’est pas fini… Contrairement à ce qu’on peut lire dans de nombreux rapports, construire dans la zone E1 ne couperait pas la Judée-Samarie en deux et n’entamerait pas la continuité palestinienne. Israël a prévu une nouvelle route, qui permettra aux véhicules palestiniens venus du sud de contourner Maalé Adoumim par l’est, et de continuer vers la partie nord de la Judée-Samarie. Elle réduira le temps de trajet actuel, puisque les automobilistes n’auront plus à s’arrêter aux barrages, comme à chaque fois qu’ils pénètrent en territoire israélien, et rouleront sur une véritable autoroute.



Dans la perspective de consolider son statut de capitale de l’Etat juif, les gouvernements israéliens successifs ont construit une enfilade de banlieues et de villes satellites autour de Jérusalem : Maalé Adoumim à l’est en 1977, Guivat Zeev au nord en 1982, Efrat au sud, en 1982 également, dans le bloc du Goush Etzion, et Betar Illit, au sud-ouest, en 1984. Des villes plus petites entourent encore cette première ceinture, qu’Israël considère comme appartenant à l’agglomération de Jérusalem. Pour l’ensemble des gouvernements successifs, il a toujours été clair que ces blocs urbains resteraient parties intégrantes de l’Etat d’Israël et lui seraient annexés dans le cadre d’un accord de paix permanent, tout comme les gros blocs d’implantation de Judée-Samarie construits à proximité de la « Ligne verte ».

Le 14 avril 2004, le président américain George W. Bush avait d’ailleurs écrit au Premier ministre de l’époque Ariel Sharon dans ce sens : dans le cadre d’un futur accord de paix définitif, affirmait-il, la réalité démographique créée sur le terrain depuis la guerre des Six-Jours devra être prise en compte, et l’on ne pourra pas demander à Israël d’évacuer toute la Judée-Samarie. Pour Sharon, cette lettre était une victoire que l’on devait attribuer à sa décision de procéder à un désengagement de Gaza et du nord de la Samarie.

Maalé et Mevasseret Adoumim


Dès lors, la barrière de séparation allait se dessiner sur la base du principe d’incorporer les grands blocs d’implantation au territoire israélien. Sur 290 000 habitants des implantations, 220 000 résident dans ces grands blocs.

Dans ses décisions, la Haute Cour de Justice israélienne ellemême applique généralement ce principe pour les villes et villages installés à l’ouest de la barrière de sécurité.



C’est par une décision gouvernementale de 1977 qu’a été construite Maalé Adoumim. Ses premiers habitants ont emménagé en 1982 dans ce qui allait devenir une vraie ville en 1991. Située à l’orée du désert de Judée, à 7 km de Jérusalem, sur la route de Jéricho, non loin des quartiers nord de Jérusalem que sont Pisgat Zeev, Guiva Tsarfatit et Ramat Eshkol, elle est connue pour la qualité de vie qu’elle offre et pour ses multiples infrastructures éducatives, culturelles et de loisirs. Selon les prévisions, sa population s’élèvera à 70 000 habitants en 2020.

En 1991, sous le gouvernement d’Itzhak Shamir, le ministre de la Défense Moshé Arens transfère une partie de la zone aujourd’hui nommée E1 sous la juridiction de la municipalité de Maalé Adoumim. En janvier 1994, le Haut conseil de planification de la Judée et le sous-comité de la Samarie pour les implantations présentent un nouveau projet, qui étend le programme urbain de Maalé Adoumim. Cela deviendra la base du plan pour la zone E1 sur une superficie de 1 200 ha.

Itzhak Rabin, alors Premier ministre, charge le ministre de la Construction et du Logement Binyamin Ben-Eliezer d’entreprendre la planification d’un quartier à cet endroit.

Problème : les contraintes diplomatiques empêcheront sa concrétisation.

Les conditions topographiques (le terrain est en pente) font que la majeure partie de la zone E1 ne se prête pas à la construction. On décide donc d’en faire une réserve naturelle avec, côté ouest, c’est-à-dire en bordure de Jérusalem, un projet de logements résidentiels. Baptisé « Mevasseret Adoumim » par les élus de Maalé Adoumim, celui-ci comportera 3 500 unités d’habitations divisées en trois parties. La zone E1 comprendra également le quartier général de la police de Judée-Samarie, ainsi que des hôtels, une zone industrielle et une zone de commerces.
 
 

Au sud-est, le projet est bordé par la Route n°1, par les quartiers d’Azariya et d’Abou Dis et par le campement bédouin de la tribu Jahaline. A l’ouest, se trouvent Isawiya et les quartiers d’Anata et d’A-Zaïm. Puis au nord, c’est la route 437 et le poste de contrôle de Hizma.

Le centre commercial et la zone industrielle, ouverts à tous les habitants de la région de Jérusalem, devraient créer des milliers d’emplois, tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens. Le trajet de la barrière de séparation, dans le périmètre de Jérusalem, inclura la zone de l’E1 côté israélien.

Souveraineté pour tous 


C’est donc l’opposition américaine qui a retardé tous ces projets. Dans une interview accordée au Jerusalem Post en septembre 2005, le Premier ministre Ehoud Olmert confirmait qu’Israël s’était engagé auprès du gouvernement Bush à ne pas construire entre Maalé Adoumim et Jérusalem.

Toutefois, précisait-il, il s’agissait d’un « gel », et non d’une annulation pure et simple du projet.

L’opposition américaine ne tient pas à des motifs juridiques, mais à la crainte de voir de nouvelles constructions juives entraver de futures négociations de paix. Washington établit ainsi une distinction entre les divers types de constructions et leur emplacement. Par exemple, le 30 avril 2003, la Feuille de route pour la paix appelle Israël à « geler toute activité d’implantation [y compris les constructions nécessitées par l’accroissement naturel de la population]. » En septembre 2004 toutefois, le secrétaire d’Etat adjoint Richard Armitage remarque : « Si des implantations sont déjà existantes et que vous étoffez leurs populations sans en étendre les limites physiques, c’est une chose ». En d’autres termes, il laissait entendre que geler les implantations consiste à geler uniquement l’extension des limites territoriales de chaque implantation dans le but d’intégrer de nouveaux habitants.

Sachant que la zone E1 ne constituerait pas une nouvelle implantation israélienne – elle ferait partie de Maalé Adoumim – un problème particulier se pose : les constructions se situeraient au-delà du dernier bâtiment et de la ligne des constructions de Maalé Adoumim, mais à l’intérieur de ses limites municipales.



Le 5 octobre 1994, Rabin déclarait dans une discussion à la Knesset : « La Jérusalem unifiée, capitale d’Israël sous souveraineté israélienne, devra aussi comprendre Maalé Adoumim et Guivat Zeev ». Six mois plus tôt, il avait remis les documents d’annexion de la zone E1 à Benny Kashriel, maire de Maalé Adoumim. Puis le 13 mars 1996, le Premier ministre Shimon Peres réaffirmait qu’Israël exigerait la souveraineté sur Maalé Adoumim dans tout accord de paix permanent.

Déclarations de foi 


En avril 2005, Sharon déclare que la zone E1 fait l’objet d’un projet sur dix ans et que le gouvernement a bien l’intention de le mener à bien.

Son ministre de la Défense Shaoul Mofaz renchérit : il s’agit, dit-il, de créer une continuité juive entre Jérusalem et Maalé Adoumim. Dans un CD d’information publié par la municipalité de Maalé Adoumim, 18 importants responsables adressent à Maalé Adoumim et à la zone E1 leur déclaration de foi.

Ehoud Barak : « Il est indispensable de traduire concrètement le fait que le couloir E1 nous appartient. Retarder les constructions établissant une continuité entre le mont Scopus et Maalé Adoumim, c’est mettre cette dernière en danger. Sans une action politique immédiate établissant des faits purs et simples, nous risquons de perdre Maalé Adoumim. » Binyamin Netanyahou, Premier ministre : « Nous voulons créer la continuité de l’agglomération de Jérusalem d’ouest en est ; les Palestiniens, eux, cherchent à briser cette continuité en construisant du nord au sud… Ils veulent couper Jérusalem d’un côté et la détacher de Maalé Adoumim de l’autre. Nous devons prendre le dessus en construisant la zone E1. » Reouven Rivlin, porte-parole de la Knesset : « Le projet E1 est un objectif auquel nous ne renoncerons jamais… Si Itzhak Rabin était encore vivant, il aurait publié une directive sans concession pour le mener à bien. » Même les plans de paix qui, par le passé, ont envisagé la division de Jérusalem, prévoyaient de relier Maalé Adoumim à la capitale.



Selon un protocole d’entente établi entre l’ex-ministre Yossi Beilin et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas au milieu des années 1990, Israël devait annexer les zones d’habitation juives situées autour de Jérusalem, comme Maalé Adoumim, Guivat Zeev, Beitar Illit et Efrat, alors que la majorité des quartiers arabes seraient transférés dans le futur Etat palestinien.

Et dans l’esquisse de projet de partition de Jérusalem qui a émergé en 2000, sous l’égide de Bill Clinton à Camp David, Israël devait, en compensation de cette partition, être autorisé à annexer plusieurs villes, dont Maalé Adoumim.

Lutter contre le grignotage


En mai 2008, la ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni disait exactement la même chose. Toutefois, on comprend mal comment un tel projet pourrait contribuer à renforcer la sécurité de Jérusalem si on laissait s’établir à Jérusalem-Est de nouveaux quartiers arabes qui constitueraient une barrière entre la capitale et Maalé Adoumim, ne laissant subsister entre les deux villes qu’un étroit couloir de liaison.

La principale menace qui pèse sur la future contiguïté réside dans le grignotage qu’effectuent les constructions palestiniennes illégales. En Judée-Samarie, les constructions, tant israéliennes que palestiniennes, sont régies par l’accord intérimaire Oslo II, signé le 28 septembre 1995.

Oslo II répartit les territoires en trois juridictions : la zone A, la zone B et la zone C. En zone C, Israël conserve tous les pouvoirs en matière d’aménagement et de construction.
 
 

Or, E1 est précisément en zone C et les bâtiments palestiniens qui y ont été édifiés récemment n’ont pas reçu d’autorisation israélienne, ce qui en fait des constructions illégales.

En revanche, aucune clause des accords d’Oslo n’interdit les implantations israéliennes, un domaine que l’on a réservé à de futures négociations sur le statut permanent. Et cette absence de gel israélien des constructions n’avait pas empêché Yasser Arafat de signer l’accord intérimaire d’Oslo II.

Jusqu’à présent, Israël n’a construit dans la zone E1 qu’un poste de police et plusieurs routes, mais les maisons illégales arabes, elles, ont fleuri, surtout du côté d’A-Zaïm.

Bien que situées en Zone C, elles n’ont pas généré de réactions de la part de l’administration civile israélienne. Les services de sécurité mettent cependant en garde : si Israël n’agit pas avec vigueur pour empêcher les Palestiniens de s’approprier ces terres, il ne sera bientôt plus possible de mettre en pratique le plan E1, notamment dans la zone industrielle et commerciale jouxtant Anata. Selon eux, il faut par ailleurs imputer une partie de la migration bédouine vers la zone E1 à la crainte de cette population de se trouver un jour reléguée de l’autre côté de la barrière de séparation.

Histoires de contiguïté 


Pour leur part, les Palestiniens ne cachent pas leur volonté d’empêcher les constructions israéliennes dans la zone E1. Pour Faiçal Husseini, responsable palestinien mort en 2001, construire sans permis à Jérusalem était l’une des armes dont disposaient les Palestiniens dans la lutte contre Israël. En 1993, Mouhamad Nadal, expert en planification urbaine à l’Institut d’Etudes arabes de la Maison d’Orient (ancien quartier général de l’OLP), a imaginé un plan de construction de trois villes arabes autour de Jérusalem, afin d’entourer les quartiers juifs construits après 1967. La zone E1, dans l’optique israélienne, est presque le seul obstacle à la réalisation de l’objectif implicite de ce programme.

Sur le terrain, on voit clairement que le but des Palestiniens est de relier les quartiers arabes de Jérusalem aux quartiers adjacents et aux villes de Judée-Samarie. A l’époque du gouvernement Barak, les Palestiniens ont officiellement demandé que la zone E1 leur soit transférée et devienne une Zone B (sur laquelle ils exerceraient donc un contrôle civil), mais Barak a refusé.



La continuité des constructions entre Jérusalem et Maalé Adoumim créera une barrière ostensible entre les régions palestiniennes du sud de Jérusalem et les villes palestiniennes du nord de la capitale.

En revanche, si la zone E1 passe aux mains des Palestiniens ou si les constructions palestiniennes à cet endroit s’intensifient, Maalé Adoumim se trouvera isolée de Jérusalem et la capitale d’Israël sera de nouveau à l’extrémité d’un couloir sans autre porte de sortie, redevenant une ville-frontière isolée sur les plans sécuritaire, économique et urbain, exactement comme avant 1967.

Aménager la zone E1 fera la différence entre une contiguïté juive estouest et une contiguïté palestinienne nord-sud. Ne pas construire fera basculer la décision en faveur d’une contiguïté palestinienne aux dépens d’Israël.

Un plan vital 

Le 24 octobre 2007, Israël a exproprié 110 ha de terrain afin de paver une route réservée aux Palestiniens. La majeure partie de ce terrain était propriété de l’Etat, et seuls 22,5 ha étaient des terrains privés. La route est destinée à permettre aux Palestiniens d’aller de Ramallah, au nord de Jérusalem, jusqu’à Bethléem, au sud, sans être arrêtés par des barrages.

Elle passe par un tunnel sous la route Jérusalem-Maalé Adoumim, ce qui assure une continuité aux véhicules palestiniens, sans pour autant couper la voie entre la capitale et Maalé Adoumim.

Réaliser le plan E1 est donc vital pour Israël. Retarder sa mise en application, c’est risquer de ne plus pouvoir le faire, en raison des constructions palestiniennes illégales et de l’installation des campements bédouins. Sans ce plan, il est presque certain qu’une continuité palestinienne se créera à l’est de Jérusalem, séparant la capitale de Maalé Adoumim et faisant de nouveau de Jérusalem une ville frontalière très isolée.

La même situation s’est produite à la fin des années 1990, quand il s’agissait de construire le quartier juif de Har Homa dans les limites de la municipalité de Jérusalem. Israël tenait à réaliser ce programme pour ne pas avoir à subir ensuite des constructions palestiniennes qui auraient créé une enclave entre le quartier juif de Guilo et Talpiot-Est.

Israël a ainsi édifié Har Homa, malgré l’opposition des Etats-Unis, qui se sont par la suite ralliés à sa position, sans pour autant l’approuver.

Si un Etat palestinien devait voir le jour, la continuité palestinienne entre la partie nord et la partie sud de la Judée-Samarie pourra être assurée au moyen de la route de communication déjà programmée.
 
 

La construction de la zone E1 ne l’empêchera donc pas ; en revanche, si les constructions palestiniennes illégales se poursuivent et qu’Israël perd le contrôle sur la zone E1, la contiguïté du territoire israélien, elle, sera gravement compromise. 
Nadav Shragaï est l’auteur de Jérusalem, les dangers du partage : une alternative pour la séparation des quartiers arabes (Centre des affaires publiques et de l’Etat, 2008), de Le tombeau de Rachel : un lieu saint juif et non pas une mosquée (Jerusalem Studies, 2005) et La lutte pour le mont du Temple : Juifs et Musulmans, religion et politique depuis 1967 (Keter 1995)


Source JerusalemPost