mercredi 30 novembre 2016

Che Guevara – Ariel Sharon, cousins ?









Comment un article du journal Maariv a fait le tour du monde et créé le buzz sur la toile, où se déchaînent encore internautes et spécialistes. Enquête sur un article fort bien documenté, mais qui n’était en fait qu’un… canular !...








C’est le scoop du siècle ! Asseyez-vous tranquillement dans votre fauteuil. Éteignez la télévision. Concentrez-vous… Vous avez bien lu : Che Guevara et Ariel Sharon seraient cousins ! Cette nouvelle, énorme, est devenue folle. Incontrôlable.
Elle a pris la forme d’une rumeur qui a enflammé la toile. Personne ne sait d’où elle est partie. Aucune preuve ni même un commencement de preuve ne vient étayer cette information. Comment alors une telle rumeur a-t-elle pu prendre une telle ampleur ?
Nous avons retrouvé sa source. Pour découvrir, après une laborieuse enquête qu’il s’agissait… d’un canular !



Flash-back. Tout est parti d’un article, paru à Tel-Aviv, dans le journal israélien Maariv, du 3 août 2007. Qu’y apprend-on ? D’une part, que la mère de Che Guevara a des origines juives. D’autre part, que du fait de ces origines, Che Guevara aurait un lointain cousin qui vit en Israël et qui n’est autre… qu’Ariel Sharon ! Rien que ça ! Reprenons.
Qu’a dit la mère du Che, en 1964 ? Que, sentant sa mort approcher – elle décédera en mai 1965 – elle est née en 1908, à Buenos Aires, au sein d’une famille juive «sioniste et pratiquante issue de l’immigration russe». Ensuite, que son vrai nom est Sharon Sheinermann et non Célia de La Serna, et qu’enfin elle est la sœur cadette de Schmuël Sheinermann, de 18 ans son aîné, un fervent sioniste qui quitta la Russie pour émigrer en Israël.
Ce frère donc, serait le père… d’Ariel Sharon ! Vous suivez ? Elle en déduit le plus naturellement du monde que Che Guevara est bien le cousin germain d’Ariel Sharon.







Vous suivez toujours ! Ce n’est pas fini ! Jusqu’à 18 ans, la jeune Sharon grandit dans le quartier juif de la capitale argentine, recevant précise-t-elle une «éducation très respectueuse des traditions».
Puis, elle décide de quitter sa famille pour se marier à un catholique argentin, le Dr Ernesto Guevara Linch. Du fait de ce mariage, elle renonce à sa judéité. Et, un an plus tard, elle met au monde Ernesto Che Guevara. Voilà pour les confidences.
Évidemment, tous les biographes du révolutionnaire cubain sont montés au créneau. Ils ont épluché mot à mot cette confession. Verdict : rien n’est vrai dans ces pseudo-révélations ! «Faux et archifaux !», s’exclame le journaliste israélien Efraim Davidi, auteur de la première biographie du Che en hébreu, en 1964.
«Cette histoire est montée de toutes pièces. Célia de La Serna n’a pas de racines russes, mais des racines espagnoles et catholiques. Elle était une activiste politique et féminine connue en Argentine.
Elle appartenait à la grande classe traditionnelle de grands propriétaires terriens de Buenos Aires».
Et il précise que son père, le Dr John Martin de La Serna, professeur de droit à l’Université de Buenos Aires, s’est suicidé quand elle avait deux ans, et sa mère, Edelmira Llosa, est morte quand elle avait 15 ans.



Même son de cloche pour Régis Debray, qui a suivi le révolutionnaire marxiste en Bolivie, en 1965, avant d’être capturé et emprisonné pendant quatre ans, puis libéré grâce à une campagne internationale en sa faveur lancée par Jean-Paul Sartre.
Il estime lui aussi que cette histoire ne tient pas la route. «Je n’en ai jamais entendu parler et elle paraît tout à fait invraisemblable. C’est vrai par contre que je n’ai jamais entendu dans sa bouche un seul propos antisémite ou antisioniste, même envers Israël.
Mais cela ne prouve en rien qu’il soit juif !». Et d’ajouter avec une certaine pointe d’humour : «Par contre, je peux vous dire qu’il vouait un culte à sa mère, dont il était très proche. Comme une mère juive, si vous voulez !».







De même, Rafy Eitan, ancien du Mossad, considéré comme un des plus proches amis d’Ariel Sharon, et qui se trouve aussi avoir développé des relations d’amitié avec la fille Guevara – entre sa sortie de l’armée et son entrée en politique à la tête du Parti des retraités, il a fait quelques bonnes affaires dans le Cuba de Castro et a connu la famille –, interrogé par Maariv, se montre très dubitatif.
«La probabilité est extrêmement faible », dit-il. Si cela avait été vrai, Sharon lui en aurait parlé. Et si malgré tout, cela s’avérait authentique ? « Alors ce serait une belle histoire !», concède Rafy Eitan. «Vous seriez surpris ?», lui demande-t-on. Il répond : «Oh vous savez, après tout ce que j’ai vécu dans ma vie, rien ne me surprend plus !».



En tout état de cause, une seule affirmation est juste : le père d’Ariel Sharon s’appelle bien Schmouel Scheinermann. Il n’est pas né en Russie mais à Brest Litovsk, alors en Pologne, où il était ingénieur agronome. Sa mère Véra, médecin, est originaire de Mohilev, en Biélorussie.
Tous les deux, qui ont connu dans leur enfance les pogroms anti-juifs de 1903-1905 dans la Russie tsariste, émigrèrent en Palestine en 1920 et finirent par s’installer, deux ans plus tard, dans le moshav de Kfar Malal où naît Ariel Sharon.







Un voyage improbable

Comment le Che peut-il être le cousin d’Ariel Sharon ? Là aussi, l’article apporte sa version. Une version larmoyante si l’on veut. On y lit, en effet, qu’après les confidences de sa mère, Che Guevara en ressort bouleversé. Et «sonné». Lui qui ne s’était jamais intéressé au judaïsme veut, soudainement, en avoir le cœur net et retrouver ce cousin !
Et même s’il le faut, aller en Israël ! Ce qu’il fera, toujours selon Maariv qui donne des précisions sur la façon dont il s’est rendu en Israël. Che Guevara, lit-on, «quitte l’Égypte pour Chypre d’où il atteint Israël. Sans perdre de temps, il part à Tel-Aviv pour y rencontrer, sous une fausse identité, le mystérieux cousin : le général Ariel Sharon, commandant de la première Division blindée de Tsahal !».
Et il parvient finalement à le rencontrer ! Ouf ! Difficile de faire plus précis. Et plus risible !



Car on aimerait savoir à quelle date ce voyage a eu lieu. Pas de problème, Maariv la donne : entre le 24 février et le 1er mars 1964. On craque. On veut des preuves.
Un début de preuves ! Ne soyons pas impatients ! Nir Gontarz, l’auteur de l’article, va nous les sortir de son chapeau. «C’est simple, écrit-il, on trouve ces détails sur un document de la CIA, déclassifié en 2007, et dans lequel étaient consignés tous les déplacements du célèbre révolutionnaire». Alors là, on est K.-O. On se met à la recherche de ce fameux «document déclassifié». Personne n’en a jamais entendu parler.
Et encore moins vu publier nulle part. Il reste introuvable. Aucun journal français n’a d’ailleurs reproduit l’information. C’est finalement un correspondant à Paris d’un grand quotidien américain, à qui l’on s’est adressé qui nous demande, ironique, de faire preuve de bon sens : «Mais enfin, cher ami, vous pensez bien que si nous avions ces documents nous les aurions déjà publiés à la une de notre journal.
Ce n’est pas le genre d’info qui passe inaperçue !».



Enfin, reste à savoir comment Che Guevara a pu se rendre incognito en Israël, entre le 24 février et le 1er mars 1965 ? «Impossible ! se révolte le journaliste Roger Faligot, qui s’apprête à publier Tricontinentale (1) un livre où il retrace au jour le jour les voyages du leader révolutionnaire.
Et il nous fournit le calendrier du révolutionnaire marxiste. «Le 24 février 1965, Che Guevara n’était pas en Égypte mais à Alger, où il a prononcé son discours au sommet économique afro-asiatique qui a fait beaucoup de bruit, puisqu’il critique implicitement les Soviétiques pour leur façon d’aider le tiers-monde. Le même jour, son fils Ernesto Junior est né à Cuba, et il envoie un télégramme à son épouse.
Il est resté plusieurs jours ensuite en Algérie, puisqu’il a aussi participé à une réunion d’ambassadeurs et diplomates cubains de la zone Afrique. Il est parti, accompagné, au Caire les 3 et 4 mars, avec une escale à Paris. Il y a dans mon livre une lettre du 4 mars de Ben Barka à l’un de ses proches qui évoque le travail avec Che Guevara pour la préparation de la Tricontinentale suite aux discussions des derniers jours à Alger.
Le lendemain, il est au Shepherd Hôtel, au Caire. Il prend un peu de repos, mais il finalise son texte majeur, Socialisme et l’Homme à Cuba qui, publié, va faire beaucoup de bruit. Il prend deux jours de repos et visite les Pyramides, mais il a surtout des entretiens avec Nasser et ses conseillers, concernant son projet sur le Congo et la Tricontinentale.
Il rencontre diverses personnes dont le journaliste Lofti El Khouli et aussi des révolutionnaires vénézuéliens avec qui il prépare des transferts d’armes. Il envoie, le 8 mars, du Caire, des cartes postales à ses proches dont sa femme Aleida March. Puis, accompagné notamment par le ministre de la Construction, Osmany Cienfuegos, il se retrouve à Prague le 12 mars, et part pour La Havane. Son avion est bloqué le 13 à Shannon en Irlande.
Il reste deux jours à Limerick où il est interviewé par des journalistes irlandais. C’est une période où il est constamment entouré de journalistes. Enfin, il arrivera le 15 mars 1965 à La Havane. C’est la dernière fois qu’on le verra publiquement. Che Guevara mourra le 9 octobre 1967, au fin fond de la forêt bolivienne».







Une histoire invraisemblable

Reste une question importante : comment Nir Gontarz a-t-il pu publier un tel article avec autant de contre-vérités et surtout sans les vérifier ? On tente évidemment de le joindre. Et là, tenez-vous bien, le mystère est encore plus grand. Nir Gontarz a disparu !
Il est introuvable. Personne ne sait où il est. Certes, il a bien une page Facebook mais il ne nous a toujours pas répondu. On décide alors de s’adresser à un des rédacteurs en chef de Maariv, Matan Drori. Enfin un interlocuteur ! Il nous fait un excellent accueil au téléphone. Il répond par mail, en anglais, au téléphone : «Nir Gontarz ?
Il a quitté le journal. On ne sait pas ou il se trouve. Maariv a été fermé l’année dernière et c’est un nouveau propriétaire qui l’a racheté pour en faire un quotidien de centre droit comme le Monde.Et, figurez-vous, tous les magazines locaux, y compris Zman Tel-Aviv où Nir Gontarz a travaillé, ont tous fermé». C’est bien notre chance !
À la question de savoir comment les Israéliens ont réagi quand ils ont appris les liens de parenté prétendus entre Che Guevara et Ariel Sharon, il répond après un temps de réflexion : «À vrai dire, personne n’a vraiment pris cette information au sérieux, y compris chez nous à Maariv ! C’est d’ailleurs pourquoi, dans un premier temps, cet article a été publié à la dernière page du journal, d’ordinaire réservée aux histoires plutôt drôles !»
Et il ajoute cette précision incroyable : «L’article entier a été publié dans l’édition locale de Tel-Aviv…». On ne peut être plus clair ! Même Maariv n’a pas cru à la véracité de cet article ! Alors pourquoi avoir publié un tel article qui relève davantage du canular ?



Nous avons trouvé une explication. En fait, ce n’est pas Maariv qui a lancé le premier cette histoire invraisemblable. C’est un certain Shasha Nepomianski, propriétaire d’un blog en langue russe sur Livejournal, qui l’a publiée le 1er avril 2007. Elle a été reprise par Nir Gontarz le 3 août. Seulement voilà : il n’a pas tenu compte de la date de parution de cet article : un 1er avril ! Un beau poisson d’avril !
Et c’est ainsi que naissent les rumeurs. La rumeur «c’est bien plus fort qu’un  mensonge / ça grossit comme une éponge / Plus c’est faux, plus c’est vrai / Plus c’est gros et plus ça plaît», chantait Yves Duteil. Qui a eu intérêt à lancer de telles fausses informations ?
L’historien Efraim Davidi les attribue aux milieux contre-révolutionnaires russes dont l’objectif est la mise en exergue du rapprochement idéologique entre sionisme et révolution soviétique. «Il est possible, dit-il, que l’histoire ait été diffusée par un milieu nationaliste russe pour démontrer les liens entre l’internationale juive et les mouvements révolutionnaires».
Bref, finalement le seul point commun entre le Che et Ariel Sharon c’est qu’ils sont nés tous les deux en 1928 !



Alain Chouffan


(1) Tricontinentale : quand Che Guevara, Ben Barka, Cabral, Castro et Hô Chi Minh préparaient la révolution mondiale. Sortie en novembre. Editions La Découverte.



Article paru dans l’Arche (nouvelle formule trimestrielle),  publié avec l’aimable autorisation de son auteur.




Source JewPop


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