mardi 27 février 2018

Interview du Grand Rabbin de Pologne : "L’antisémitisme resurgit"

 

Voilà désormais trois semaines que le Président Andrzej Duda a validé la loi sur l’IPN, le 6 février dernier. Cette loi, qui a pour but de réformer l’Institut sur la Mémoire Nationale, viserait à punir toute personne qui attribuerait à la nation polonaise ou à la Pologne la responsabilité ou la coresponsabilité des crimes commis pendant la Seconde Guerre Mondiale par le IIIe Reich allemand.....Détails........

Interrogé à ce sujet, le Grand Rabbin de Pologne, M. Schudrich, appelle à l’apaisement. Même s’il reconnaît la crainte fondée du retour d’un antisémitisme profond, d’un niveau inédit depuis la fin de la Guerre Froide.

Depuis combien de temps êtes-vous le grand Rabbin de Pologne ?
Je suis l’autorité suprême des Juifs de Pologne depuis 2004. Avant cela, de 2000 à 2004, j’étais le rabbin de Varsovie.

Yehoshua Ellis, rabbin de Katowice, nous disait en octobre 2016 qu’être Juif en Pologne était bien considéré. Etes-vous encore en accord avec cela ?
Vous savez, ce qu’il s’est passé il y a trois semaines, avec la promulgation de cette nouvelle loi, a créé énormément de tensions, énormément de craintes. Mais c’est encore très dur de se prononcer sur la situation, car nous sommes en plein dans l’actualité.
Va-t-on poursuivre dans cette voie pendant encore une semaine, un an ?
Allons-nous vivre deux semaines compliquées, ou se dirige-t-on vers un bouleversement perpétuel de la condition juive en Pologne ? Nous ne pouvons pas encore nous prononcer.
Nous sommes dans le flou, mais nous essayons de nous dire que ce n’est qu’une horrible période qui sera bien vite oubliée.

Pensez-vous que cette loi sur la mémoire de la Pologne peut contribuer à détériorer la qualité de vie des Juifs en Pologne ? Qu’en pensent les autres dignitaires de l’autorité juive ?
Lors de la validation de la loi sur l’IPN, le Président Duda a dit lui-même que cette loi n’était pas claire.
Outre le fait qu’une loi aussi imprécise n’aurait jamais dû être votée puis validée, il ne faudrait pas commencer à l’interpréter.
De même, il serait préférable de ne pas prendre pour acquis tout ce que l’on peut entendre à propos de cette loi, pas tant qu’elle ne sera pas mise à l’épreuve des faits. Entre-temps, nous vivrons une situation vraiment très instable.
Le problème majeur réside dans le caractère flou de cette loi. Est-ce illégal de dire qu’un Polonais a tué un Juif, lors de la Seconde Guerre Mondiale ? Le gouvernement a évidemment tout de suite balayé cette crainte, en affirmant que c’était une vérité historique qui ne pouvait être réfutée, de même qu’il ne faudrait pas s’en faire si l’on venait à exprimer publiquement que des atrocités ont eu lieu sur des Juifs de la part des Polonais.
Cependant, certains journalistes prétendent le contraire. Bon, je ne sais pas qui croire le plus entre les journalistes et les hommes politiques (rires). Non, plus sérieusement, ce sera au Tribunal Constitutionnel de trancher, nous verrons alors ce qu’il adviendra.

Votre avocate en Israël... 

Je ne pense pas que le Parlement avait pour objectif de rendre illégal tout propos qui dénoncerait les meurtres et exactions commis par les Polonais sur des Juifs.
En revanche, il est possible que les parlementaires aient rédigé cette loi de façon à ce qu’elle puisse être interprétée de façon extreme.
Le second problème de cette loi réside, selon moi, dans les conséquences graves des violentes discussions qu’elle a provoquées. Des gens ont dit des choses qu’ils n’auraient absolument pas dû dire.
Le problème le plus lourd se situe justement à ce niveau-là : en Pologne, nous n’avions pas entendu de propos aussi antisémites depuis plus de vingt-cinq ans. Je garde encore l’espoir que ce n’est qu’une aberration, que cette période est une parenthèse qui sera vite oubliée et que nous reviendrons à la situation d’il y a 3 semaines. Mais je ne peux rien garantir.

Quel est le ressenti de votre communauté sur cette actualité ? Y a-t-il de la peur, ou de la colère ?
Quasiment tous les Juifs sont furieux contre cette loi ! Déjà, comme je l’ai dit, parce qu’elle n’est pas claire et rend notre avenir assez incertain. Ensuite, parce que les gens ont envie de raconter ce qu’il s’est passé !
Ce qui est certain, c’est qu’il y a bien plus de familles juives qui parlent d’un départ de Pologne aujourd’hui qu’il y a un mois. Vont-ils pour autant quitter le pays? Il n'y a aucune certitude.
Mais voilà où nous en sommes. Le gouvernement devrait agir très rapidement, afin de montrer que les Polonais Juifs doivent, ont le droit, et auront l’opportunité de rester dans leur pays.

En Pologne aujourd’hui, les gens de confession et de culture juives sont-ils considérés plutôt comme des Juifs ou comme des Polonais ?
En Pologne, ce sujet n’a pas encore été matière à débat.
En effet, beaucoup de Polonais n’ont découvert que récemment des origines juives cachées depuis la Seconde Guerre Mondiale : ces générations ont grandi en tant que Polonais.
Nous verrons comment évoluera cette situation, car cette question d’identité sera débattue.
Dans tous les cas, il y a eu une ouverture exceptionnelle sur la judéité de certains Polonais depuis la fin de la Guerre Froide, et j’espère que cela ne changera pas.

Cette loi est-elle l’accomplissement d’un antisémitisme prégnant en Pologne ?
L’extrême droite est beaucoup plus active aujourd’hui.
Ce mouvement, qui est aussi antisémite, se sait peu restreint, ses membres se sentent peu en danger dans ce qu’ils peuvent faire et dire et c’est cela qui est dangereux pour nous. C’est un problème majeur, même s’il n’y a pas eu d’affrontements physiques, comme cela a pu être malheureusement le cas en France.
Et je rajouterais que ce problème a commencé quand le PiS (Parti Droit et Justice) est arrivé au pouvoir, il y a deux ans.

Avez-vous des liens avec le gouvernement et le président Andrzej Duda ? Que pensent-ils de cet antisémitisme qui a grandi pendant leur période de pouvoir ?
J’ai des liens avec le gouvernement. J’ai rencontré le Président Duda, et je peux vous affirmer qu’il est tout aussi soucieux que nous.
Ce n’est donc pas là la véritable question, mais plutôt comment lui, son Premier Ministre et son gouvernement devraient s’y prendre pour enrayer ce problème.

Propos recueillis par Hervé Lemeunier des Graviers
Source Le Petit Journal
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