mercredi 14 mars 2018

Tsahal sur les écrans : héros faillibles......



L’armée israélienne s’est imposée comme un véritable sujet de cinéma, non seulement en Israël même, et chez ses adversaires, mais aussi au niveau mondial. Du fait de ses victoires, de l’attention médiatique portée aux conflits dans lesquels elle a pris part, la représentation de Tsahal est devenue un enjeu majeur dans le portrait, à charge ou laudatif, qui peut être fait d’Israël, en même temps que son poids dans la société en a fait un sujet d’interrogation privilégié pour les cinéastes israéliens. Ce faisant, cette image, depuis ses premiers temps héroïques ou terrifiants, est en elle-même devenue objet de conflit........Analyse.........

ANCREE profondément dans la représentation de la société israélienne, outil d’intégration en même temps que de défense nationale, au cœur des débats nationaux qu’elle incarne en même temps qu’elle les vit (Halévi 2013, Lamarche 2008, Dieckhoff 2003), Tsahal, à travers ses victoires, ses doutes et les brutalités dont elle s’est rendue coupable ou complice, est devenue une armée médiatiquement très représentée, aussi bien en Israël même, que dans le cinéma de ses adversaires, ou au niveau international.
Prenant appui sur les représentations qui sont les leurs de l’armée israélienne, les réalisateurs ont fait de ces soldats des objets médiatiques et culturels, au-delà de leur rôle militaire.
Dès le premier film produit en Israël, en 1955, avec La Colline 24 ne répond plus (Dickinson), la question de la représentation de Tsahal se pose dans le pays. Deux ans plus tard, avec Ard es-salam (el Sheikh 1957), l’Égypte lui répondait en offrant une vision opposée.
Et il ne faut que trois ans de plus pour qu’Hollywood n’en fasse avec Exodus (Preminger 1960) une grande fresque historique.
Depuis ce moment, Tsahal est devenue progressivement un des emblèmes filmiques d’Israël, les cinémas ne cessant d’interroger le symbole que cette armée est devenue, au point de la faire apparaitre parfois dans des œuvres incongrues comme le Predators de Nimrod Antal (2010), et dans un champ cinématographique et télévisuel qui couvre aussi bien des fresques historiques, de vastes documentaires, que des films d’art et d’essai en passant par les séries du Ramadan, des séries B, et des comédies balourdes.
Si, compte tenu du poids médiatique de Tsahal et de son importance dans la construction de l’État hébreu (Razoux 2008, Van Creveld 1998), cela peut apparaitre désormais comme évident, il faut tout de même se rappeler que cette importance ne va pas de soi.
Tsahal est une armée apparue tout récemment, au sein d’un monde juif quasi-complètement dépourvu de tradition militaire, se défiant profondément de la carrière des armes et dont la participation au premier conflit mondial, bien réelle, avait encore fait monter une vague d’antisémitisme prenant prétexte de la prétendue lâcheté des Juifs (Epstein 1998).
Autour de ce paradoxe, et de la renaissance de combattants juifs, qui plus est redoutables et accumulant les victoires depuis 1948, une forme de fascination cinématographique s’est établie, qui place Tsahal au cœur d’une très grande partie des représentations d’Israël, dans l’État hébreu lui-même, et au niveau mondial.

Votre avocate en Israël... 

Ce faisant, cette représentation de film en film pèse lourdement sur la façon dont est envisagé Israël lui-même, l’armée de conscription universelle apparaissant comme le miroir de l’État, de ses forces comme de ses défauts, et se trouve, au gré des productions, encensée ou présentée comme un repoussoir détestable de sauvagerie.
Dans le même temps, le cinéma israélien a évolué au rythme des rapports de la société et de son armée, les accompagnant, les précédant et parfois les prolongeant, selon un rythme différent des cinémas étrangers, donnant à la représentation de Tsahal un caractère polymorphe, complexe, et source de malentendus.
Pour comprendre la façon dont cette représentation s’est mise en place et a évoluée, nous nous attacherons à suivre ces mouvements, autour de deux grands thèmes, d’abord celui de l’héroïsation du soldat israélien dans ses différentes facettes, avant de nous attacher à la représentation de ses faiblesses et à la déconstruction de cette figure héroïque.

La construction du héros et sa face sombre

Avec La Colline 24 ne répond plus, Israël donne une première interprétation de son armée, en cohérence avec l’image que le pays veut donner de lui dans ces années 1950 qui sont celles de la construction de l’État au sortir de la difficile guerre d’indépendance, et de l’intégration massive d’immigrants venus de tous les horizons (Segev 2000).
De ce fait, les personnages principaux sont présentés comme issus de tous les milieux, et profondément marqués par leur expérience civile : nouveaux immigrants, rescapés du génocide, jeunes sabras, l’armée apparait comme un brassage de toutes les origines réunies dans la défense du jeune État, pour lequel ils sont prêts à faire tous les sacrifices.
C’est cela, le sens profond du film : la colline en question ne répond plus parce que ses derniers défenseurs se sont fait tuer sur place pour que cette position stratégique revienne à l’État d’Israël au moment des négociations de cessez-le-feu. Si ces personnages sont considérés comme des héros, ils sont avant tout des héros malgré eux, en dépit d’eux-mêmes et de leur désir de vivre (Centlivre, Fabre Zonabend 1999, Goldie 2014).
Si les soldats de Tsahal apparaissent alors comme exceptionnels, ce sont avant tout les circonstances qui les rendent tels, et surtout pas un ethos guerrier ou militaire particulier, lequel, revendiqué par les nazis, fait figure de repoussoir dans le film, un nazi apparaissant justement dans les rangs arabes, disqualifiant totalement la lutte de ceux-ci par sa présence (Schwarz 2014).
Ces personnages sont porteurs de caractéristiques qui vont devenir des marqueurs de la représentation de Tsahal, et participer de son identité filmique, interprétés diversement selon les problématiques des réalisateurs : le mélange, tout d’abord, mélange des origines, des milieux sociaux, des cultures. La féminisation également, avec la présence forte des femmes dans les rangs de l’armée.
Enfin, une attitude générale peu portée vers les marques extérieures de respect et une tenue impeccable.
Au contraire, dès ses débuts, Tsahal est représentée comme une armée profondément marquée par les milices qui l’ont précédée, et qui participent du creuset de l’identité nationale israélienne (Ben-Amos 2010). À ceci s’ajoute une représentation morale de l’armée, fondée sur la doctrine puissamment intériorisée à l’écran de « pureté des armes » (Tohar-a-Néchek) qui invalide par avance à l’époque toute représentation d’actes de cruauté de la part des soldats israéliens, qui, selon la formule consacrée « tirent et pleurent » (Dan 2002, Streiner 2001, Ish-Shalom 2006, Nabaa 2010), participant ainsi à la création du mythe héroïque israélien à l’écran. À ceci s’ajoute une attention toute particulière portée aux sabras, nés en Israël, qui constituent l’épine dorsale de l’armée, et apparaissent à l’écran comme le cœur de la jeune nation, les nouveaux juifs (Oz 2000, Shapira 2005, Zerubavel 2002, Abrams 2012), soutiens et avenir de leurs concitoyens immigrés.
Avec sa puissance médiatique, c’est essentiellement cette image que porte le cinéma hollywoodien des premiers films présentant Tsahal, Exodus, et L’ombre d’un géant (Shavelson 1966), qui reprennent ces canons et leur donnent une audience internationale.
Depuis les États-Unis, c’est également la figure du nouveau juif qui fascine, avec le personnage d’Ari Ben Canaan, rude à la tâche, dans ses relations, et au combat, profondément dévoué à son pays et fondamentalement moral. De la sorte se construit une forme de légende dorée des origines de Tsahal sur les écrans, sorte de mélodrame de l’indépendance, lu selon les catégories de l’Amérique de l’époque, et qui irrigue durablement la représentation de l’armée israélienne (Weissbrod 1999, Silver 2010).
L’ombre d’un géant, reprend et ancre ces représentations, en admirant l’armée de bric et de broc victorieuse en 1948, qualifiée « d’armée des schmucks » (« abrutis » ou « pauvres types » en yiddish), mélangeant les caftans et les shorts pour construire la route permettant de rejoindre Jérusalem. Cinématographiquement, l’image du David israélien face à la puissance des armées arabes s’est durablement inscrite autour de ces films.
Cette image s’épanouit avec la guerre des Six-Jours qui l’ancre dans les esprits tout en donnant lieu à une nouvelle vague de films en Israël centrés sur la victoire militaire, et la valeur des hommes qui ont été au cœur des combats.
Ce sont des films comme Sayarim (Shagrir 1967), Kommando Sinai (Nussbaum 1968), La Bataille du Sinai (Lucidi 1968), ou Every Bastard a king (Zohar 1968), voire quelques notations dans la comédie musicale Kazablan (Golan 1973) sur l’intégration des Juifs orientaux en Israël.
Dans l’ensemble, ces films proprement dits de guerre ne sont pas de grandes productions, et se rapprochent beaucoup des films de guerre à petit budget que proposait Cinecittà à la même époque, avec des personnages également virils, durs au combat, plongés dans une guerre sans merci, les studios italiens collaborant d’ailleurs à certains de ces films.
Every Bastard a king se singularise par son ambition plus grande, et le fait que le film reprenne largement l’image d’une armée hétéroclite, composée de gens de tous horizons, mais tous dévoués à leur patrie, même si profondément individualistes : en ce sens, le film apparait comme une célébration de la démocratie israélienne, incarnée par son armée en période de crise, devant l’admiration du monde, que symbolise ici un journaliste américain témoin de cette attitude.
Cependant, si ce sont d’assez petites productions, ces films ont participé de la forme de « mystique du para » qui s’est emparée d’Israël à cette époque (Ben-Amos 2010, Van Creveld 1998), et ont été critiqués depuis comme représentatifs d’un ethos israélien de l’époque, fondé sur ces images de virilité, d’audace, et de puissance (Shulamit 2009, Cohen 1998).
Dans le même temps, représentatifs de cette aura d’invincibilité et de confiance en soi qui était devenue celle de Tsahal, ces films ne proposait qu’une redite, avec des moyens limités et dans une certaine mesure caricaturale, d’une expérience qui avait concerné la nation dans son ensemble. Par leur redite d’éléments narratifs déjà connus et leur mise au pinacle, ils vidaient aussi de sens une partie de cette représentation, avec eux devenue davantage une silhouette qu’une référence pour les Israéliens.
À cet égard, La Bataille du Sinai apparaît exemplaire, en présentant un Israël vivant paisiblement au mois de mai 1967, aux antipodes de la très profonde angoisse éprouvée alors par les Israéliens (Segev 2007).
Symptomatique de cette torsion de la réalité dans la représentation de la guerre, les entretiens alors réalisés par Amos Oz avec des soldats tout juste revenus du front, et qui évoquent charnellement la peur, les exactions, la culpabilité des survivants, des éléments constitutifs du vécu combattant israélien, furent censurés (Censored voices Loushy 2015).
Cette image d’invincibilité trouvait sa réponse dans le cinéma arabe, la virilité mythique s’y montrant sous le visage de la brutalité et d’une force écrasante. Avec Ard-es-Salam, le cinéma égyptien présentait les soldats de Tsahal sous la forme de silhouettes, peu identifiables, dépourvus pour l’essentiel de personnalité, mais prenant l’exact contre-pied de la narration israélienne et hollywoodienne : ce qui était de l’audace devenait de la brutalité assimilable à des crimes de guerre dans les attaques contre les installations civiles et les populations, comme les personnages palestiniens du film, brutalement chassés de chez eux.
Ce qui était présenté comme une armée mal équipée et composés d’hommes venus de tous les horizons apparait dans ces films comme une puissance destructrice de premier ordre, disposant d’une puissance de feu conséquente et d’une très forte cohésion dans son projet de conquête, face à des troupes égyptiennes courageuses, mais sous-équipées, et mal soutenues par les autorités royales du Caire.


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De ce point de vue, le cinéma égyptien, en même temps qu’il justifiait la défaite de 1948, représentait un vécu aussi réel des combats contre Tsahal, attesté depuis par les nouveaux historiens israéliens, qui ont mis l’accent sur la force de Tsahal à l’époque sur le terrain par rapport à des adversaires désunis et désorganisés (Morris 2004, Pappé 2008).
Cette brutalité se retrouve dans Kafr Qassem (Alaouié 1974), qui relate le massacre du même nom en 1956 (Robinson 2003, Orbach 2013). Là également, les troupes israéliennes y sont présentées comme faisant preuve de la plus grande brutalité, tuant sans remords des civils désarmés, et renvoyant de ce fait la revendication de moralité de Tsahal au rang des légendes auto-justificatrices. Si cette attaque contre la moralité de Tsahal est celle qui porte le plus durement, le renversement des mythes dans ce cinéma évoque aussi la composition de l’armée : dans L’Âge de la chance (Sebaha 1978) ou Le Combat des géants (Nassour 1962), deux productions égyptiennes, les soldats israéliens s’expriment en allemand ou en français, ce qui est une façon d’insister cette fois justement sur leurs origines étrangères, et leur absence de racines dans la terre qu’ils occupent. Parallèlement, dans ces productions, Tsahal apparait comme une armée supérieurement équipée, disposant d’un arsenal abondant et ultra-moderne.
Être vaincu par Tsahal est donc présenté comme une douleur renouvelée, mais attendue, tandis que battre ces soldats trop confiants, orgueilleux de leur puissance devient un exploit, comme le font la marine et l’armée égyptiennes dans Le chemin vers Eilat (Ali 1993), Les enfants du silence (Radi 1974) ou La balle est toujours dans ma poche (Mustafa 1974), parmi d’autres.
Au fil de ces films, Tsahal devient un ogre militaire, dont la puissance est telle qu’il n’est presque plus besoin de le représenter. Les soldats israéliens n’apparaissent quasiment pas dans La Nuit de Mohamed Malas (1992) (Boëx 2014), situé à Kuneitra dans le Golan, mais leur puissance dévore les combattants syriens qui tentent de s’opposer à eux dès les années 1930, et ils demeurent une menace constante sur la ville qu’ils finissent par détruire, en broyant les espoirs du personnage principal.
De façon plus explicite, La Porte du Soleil (Nasrallah 2004) relate un ressenti comparable : face aux troupes arabes et aux miliciens palestiniens de 1948, désunis, mal soutenus, Tsahal apparait comme un rouleau compresseur écrasant tout sur son passage, sans états d’âme, et imposant brutalement sa loi aux Palestiniens qui parviennent à rester en Galilée, avec des portraits d’administrateurs militaires sans cœur.
Ce faisant, à la fois pour expliquer les défaites face à Tsahal, et rehausser les victoires remportées lors de la guerre d’usure des années 1970 puis lors de la guerre du Kippour, le cinéma arabe a également rehaussé Tsahal pour en faire un ennemi quasi-invincible, et a participé à l’héroïsation de ses combattants, dans une représentation noire qui répond à la légende dorée des débuts d’Israël et du cinéma international.
Ceci se retrouve encore dans les années 2000 lorsque le Hezbollah commandite une grande série célébrant ses combats au Sud-Liban, al-Ghaliboun (al-Manar 2011-2012) (Calabrese 2013), où l’on retrouve ces caractéristiques, et où la puissance de Tsahal est autant grandie que possible pour magnifier la victoire des combattants libanais.
Dans le même temps, les soldats israéliens eux-mêmes dont les scènes sont jouées en hébreu, attestant de la capacité du Hezbollah à comprendre la langue de ses adversaires, apparaissent comme une bande de brutes arrogantes, manipulatrices et vénales.
Le modèle héroïque positif devait survivre à la guerre du Kippour et à son traumatisme (Liebman 1993, Delaporte 2009), mais dans des contextes filmiques particuliers.
La guerre de 1967 est une expérience à la fois trop massive pour les Israéliens et une victoire trop immense pour pouvoir être réellement montrée avec les moyens limités du cinéma israélien, d’autant que l’aspect militaire de cette guerre est partagé par tous, et n’a que peu besoin d’être rejoué.
Le Musée de la Colline aux Munitions à Jérusalem, haut lieu de la prise de la ville contourne cet aspect en présentant une narration axée sur les personnes et les œuvres artistiques des soldats, plus que sur une remémoration des combats (Noy 2008, 2009).
Par conséquent la figure héroïque et l’aura d’invincibilité se concentre soit sur des opérations n’ayant concerné qu’un petit nombre d’hommes, qui justement ne sont pas des expériences militaires partagées en Israël, soit trouvent leur terrain dans des productions venues de l’étranger, qui n’a pas vécu de la même manière la perte de sens post-1967 des représentations cinématographiques, et entretient un rapport différent à la guerre du Kippour et à Tsahal en tant qu’entité.
Du premier cas, l’exemple le plus probant est l’opération d’Entebbe en 1976, visant à délivrer les passagers retenus en otage par un groupe palestino-allemand en Ouganda.
Cette opération particulièrement impressionnante a été mise en scène trois fois, sans compter sa mention dans les films consacrés à Idi Amin Dada : Victoire à Entebbe (Chomsky 1976), Raid sur Entebbe (Kershner 1976), Opération Thunderbolt (Golan 1977), et une quatrième version est prévue en 2017, en faisant un véritable objet culturel en même temps que militaire (Lawrence et Timberg 1979, McAlister 2001).
Outre qu’il s’agissait là d’une opération moralement défendable, mettant en jeu le sauvetage de civils et un dictateur haïssable, cette opération ne concernait que des commandos d’élite, donc était séparée du vécu commun des citoyens israéliens, et, au vu de son coût humain, pouvait être considérée comme une réussite éclatante, qui plus est quasi-cinématographique dans son déroulement, donc propice à une adaptation.
Le second cas est celui de films évoquant Israël, mais depuis l’étranger, où les questionnements vis-à-vis de la pureté des armes et le rapport à Tsahal sont différents de ceux d’Israël.
Sans qu’il y ait d’héroïsation excessive non plus, le modèle des combattants malgré eux, se sacrifiant en protecteur de leur État y résonne autrement qu’en Israël.
Ainsi, quand Alexandre Arcady met en scène la guerre des Six-Jours, avec Pour Sacha (1991), Richard Berry devient héros malgré lui, commando-parachutiste tué devant le Mur des Lamentations.
Ce faisant, le réalisateur poursuit la réflexion qu’il mène de film en film sur l’identité juive, la coexistence communautaire à la lumière de son expérience algérienne, qu’il articule à une image d’Israël de son propre point de vue. Cet enjeu est aussi crucial par rapport aux films de Claude Lanzmann, Pourquoi Israël (1973, filmé en 1972), et Tsahal (1994).
Pour le réalisateur de Shoah (1985), Tsahal apparaît avant tout en contraste avec le génocide qui demeure au centre de son œuvre et de sa réflexion (Lehrer 1995, Halkin 1995) : l’armée, dans ce cadre est un agent et un exemple du renouveau du peuple juif, et de sa vie démocratique, protégée par les armes et le sacrifice de ses hommes.

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Dans ce contexte, l’admiration pour les nouveaux juifs, nés des cendres de leurs ancêtres, continue à faire sens, tout comme la question morale qui est la leur, ou leur qualité de combattants malgré eux.
Dans ce cadre, la présence d’un tireur d’élite féminin israélien parmi les personnages positifs de Predators n’est que la version presque ludique de la persistance d’une image de Tsahal à l’extérieur du pays : sont censés y être représentés les tueurs les plus dangereux au monde, et l’aura d’invincibilité qui reste accrochée à l’armée israélienne l’y prédispose logiquement, tout comme elle avait fait partie des forces combattant les extra-terrestres dans Independence Day (Emmerich 1996), ou demeurait un des rares îlots de résistance aux zombies dans World War Z (Forster 2013).

Le renouvèlement de l’image de Tsahal après 1973

Si cette représentation d’invincibilité perdure dans une certaine mesure chez ses adversaires et à l’extérieur, Tsahal a vu son image en Israël profondément modifiée après 1973 et les années 1980, avec l’apparition de films remettant en cause le modèle héroïque et viril, pour en proposer des formes de contestation, diverses, marquées par le vécu militaire des réalisateurs, et par une remise en question de la relation qu’ils entretiennent avec l’armée et ses actes sur les champs de bataille.
La surprise de 1973 et les quelques jours où Israël frôle la défaite ont laissé une marque durable dans la mémoire nationale israélienne (Liebman 1993, Rabinovich 2007, Elyada 2008), en disqualifiant totalement le mythe d’invincibilité et la mystique de la force militaire qui s’était emparée d’Israël depuis 1967. Cinématographiquement, le vide de sens de ces notions s’annonçait déjà avec Matzor (Tofano 1969) qui remettait en cause cette attitude en décrivant une veuve de guerre face à la pression de son entourage pour qu’elle se comporte conformément au mythe (Nadjari 2009, Shohat 2010, Raz 2011).
Mais la charge la plus violente vient du propre fils de Moshe Dayan, Assi, acteur et réalisateur, que l’on avait pu voir auparavant participer de ce mythe, quand il jouait dans La Bataille du Sinaï ou dans He walked through the fields (Milo 1967). En 1976, il dirige La Colline Halfon ne répond plus, un titre en allusion directe au film de 1955. Avec cette production, il signe une critique au vitriol du mythe héroïco-viril de Tsahal, et propose un équivalent israélien du MASH de Robert Altman (1970).
Mettant en scène le groupe comique HaGashash HaHiver, avec des intermèdes musicaux moquant la vie de caserne israélienne tout en évoquant la nostalgie de la paix et de la vie civile, cette parodie rencontre un immense succès en Israël et devient un tournant dans la représentation de l’armée. Les soldats de Tsahal sont toujours de toutes origines, ils répondent encore à l’appel sous les drapeaux, mais ces origines diverses sont sources de comique fondé sur les stéréotypes réciproques, et accomplir ses périodes de réserve se fait à contrecœur, en traînant les pieds.
L’armée est toujours féminisée, mais Assi Dayan montre ici les jeux de séduction, la recherche d’une petite amie, les stratégies pour rejoindre un conjoint sous les drapeaux, etc. Tous les éléments du mythe sont bien là, mais détournés, ramenés à leur vécu intime sur le mode comique, et présentent une armée formée de troupiers peu motivés, trop gros, trop vieux, pressés de partir, très préoccupés de leur vie sentimentale et sexuelle…
Une armée qui est la caricature de ce qu’ont vécu les Israéliens sous les drapeaux, une version dédramatisée et satirique de Every Bastard a king.
Le sillon est ensuite creusé avec plus ou moins de finesse par Ma mère le général (Silberg 1979), qui voit une caricature de mère juive venir nourrir son fils sur la base, ou Sababa et Sapiches (Shissel 1983 et Davidson 1982), déclinaisons militaires de la série à succès Eskimo Limon sur les aventures (essentiellement amoureuses) de trois adolescents (Talmon et Peleg 2011). En-dehors de la désacralisation de Tsahal entamée par Assi Dayan, ces films ont aussi d’autres fonctions : derrière leurs dehors comiques, ils rechargent de sens dans une certaine mesure la réalité de représentation entre la nation et son armée, et, à certains égards, ils agissent aussi comme un antidote aux traumatismes qui atteignent Israël et Tsahal depuis les années 1970. La figure héroïque n’a plus grand-sens, et est insupportable aux vétérans (Segev 2010, Deonna 1986).
Même avec l’admiration qui est la sienne pour Tsahal, Claude Lanzmann fait ouvrir son film éponyme par les messages radios désespérés des postes de la ligne Bar-Lev en 1973 devant des survivants en larmes.
A compter aussi de ce moment, après les victoires éclatantes de 1948 et 1967, et hors les opérations commandos, Tsahal doit faire face successivement à la surprise de 1973, à la guerre du Liban et à ses conséquences dramatiques dans les camps de Sabra et Chatila, aux deux intifadas, et à la Guerre du Golfe de 1991, où la politique internationale la contraint de rester l’arme au pied tandis que le pays est bombardé.
Ces années sont aussi celles où le cinéma israélien prend davantage d’ampleur (Nadjari 2009, Talmon et Peleg 2011), et où des réalisateurs vont plus volontiers faire retour sur leur expérience dans Tsahal pour repenser le lien qui les unit à cette institution et aux conflits dans lesquels ils ont été engagés.
Si l’armée demeure une institution cardinale, elle va néanmoins être remise en question, dans ses actes, dans ce qu’elle amène ses hommes à faire, dans son rapport à la société, et par l’empreinte qu’elle laisse sur les combattants. La comédie a été une porte d’ouverture dans cette réflexion que poursuivent les réalisateurs vers le tragique.
En présentant les soldats israéliens comme des troupiers, de jeunes appelés sidérés par la brutalité du monde dans lequel ils sont plongés, ou des réservistes apeurés, ils redonnent chair au questionnement moral de la « pureté des armes » et de la légitimité des conflits, toutes questions que le modèle héroïco-viril avait poussées sous le boisseau d’une affirmation sans nuance de moralité.
Cette figure héroïque, sûre de son fait, insensible à la douleur qu’elle inflige, devient le héros négatif de Parachutistes (Ne’eman 1977, Masa Alunkot, littéralement « la marche des brancards ») qui à force de tourmenter une recrue fragile la conduit au suicide.
Parallèlement, ce cinéma est celui d’une affirmation progressive du « je » et d’une attention de plus en plus importante portée à la figure de l’Arabe, qui quitte les stéréotypes pour être envisagé comme personne en même temps qu’adversaire (Nadjari 2009), une évolution liée au dramatique face-à-face avec les Palestiniens au Liban.
Rafi Bukai l’évoque en creux en revenant sur la Guerre des Six-Jours avec Avanti Popolo (1986) en se focalisant sur la rencontre entre troupiers égyptiens et israéliens perdus dans le Sinaï, aussi pitoyables vainqueurs que vaincus, insistant sur le coût humain et l’absurdité de la guerre (Nadjari 2009), tout en renversant les rôles, puisqu’il fait réciter le monologue de Shylock à un Arabe devant des Israéliens incrédules.
Ces films annoncent le soldat d’Eran Riklis dans Cup Final (1991), fait prisonnier par les Palestiniens avec son tee-shirt de supporter de football, qui demeure profondément humain.
S’il est soldat, il est avant tout civil en uniforme, avec ses peurs, ses sentiments, et c’est cette humanité qui est la condition de la rencontre avec son adversaire, que veut montrer le réalisateur, nécessairement en sortant du mythe.
Il apparait sur ce plan comme le cousin des réservistes débraillés de Yom Yom (Gitai 1998), barbus et hypocondriaques. Ceux-ci sont le pendant un peu pitoyable de l’armée aux origines multiples que célébrait l’époque précédente (Toubiana et Piégay 2003, Orléan 2014). Entretemps, Assi Dayan, avec La Vie selon Agfa (1992) brisait un nouveau tabou en montrant des soldats comme des assassins racistes, tandis que dans son premier film, Time Off (1990), Eytan Fox commençait à explorer le rapport entre la virilité militaire et l’homosexualité, tout en montrant la brutalité qui pouvait s’abattre sur un jeune soldat qui ne rentrait pas dans le rang.

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Et en 2000, Amos Gitai inaugurait un nouveau cycle dans sa recherche mémorielle en filmant Kippour, d’après ses souvenirs de guerre de 1973 (Raz 2005, Delaporte 2009, Sklar 2010) ouvrant la voie à une série de films traitant des guerres du Liban et des intifada. 
À travers ces films, c’est un mouvement complexe qui s’opère : Sababa ou Sapiches peuvent être vus comme des films rassurants, rappelant aux Israéliens leur service militaire avec un sourire, en un temps où la guerre était plus simple (les films sont censés se situer dans les années 1950-1960), et où les dilemmes moraux étaient moins aigus, surtout en ce lendemain des massacres de Sabra et Chatila.
Mais ce cinéma de désacralisation est aussi une façon de s’affronter directement aux mythes fondateurs, justement à la lumière de ces massacres, et, à travers une critique très dure et frontale de l’institution militaire, d’interroger sa responsabilité justement dans ces dilemmes moraux, surtout à partir d’une époque où le cinéma palestinien connait un renouveau alors que commence la première intifada et une nouvelle expérience de conflit pour Tsahal (Jacir, Qattan et Khleifi 2009, Suleiman 2000).
En effet, en même temps que le cinéma israélien revient sur ses guerres fondatrices (Khirbet Hiza’a de Ram Loevy sur la Nakba en 1978), un autre vécu du rapport à Tsahal se fait entendre de l’intérieur même d’Israël, à travers les films des Palestiniens d’Israël, qui prennent la parole pour dire leur vécu vis-à-vis de cette armée et s’attaquer à leur tour aux représentations dominantes. Avec Mariage en Galilée (1987), Michel Khleifi donne à voir et ressentir l’humiliation de la gestion militaire des Arabes en Israël (Shohat 1988). Trois ans plus tard, c’est sur l’intifada qu’il s’interroge, en faisant du Cantique des pierres (1990) une réponse à Alain Resnais lorsqu’il tentait de penser Hiroshima (Hiroshima mon amour 1959).
Dans les années 1990 et 2000, ce sillon est creusé, toujours autour de la brutalité de l’occupation, par Hany Abu-Assad, du Mariage de Rana (2000) à Omar (2013), films qui insistent sur la violence exercée par Tsahal en tant qu’armée d’occupation, qui chasse les héros de ces films, et littéralement les empêche de vivre, ne laissant ouverte que les portes du combat et de la mort de Paradise Now (Hamid 2010).
Cette présence de l’occupation, avec son caractère intime et l’inévitable brutalité qui l’accompagne se retrouve chez Saverio Costanzo, qui fait jouer des acteurs palestiniens dans Private (2004), sur l’invasion d’une maison palestinienne par Tsahal.
Pour sa part, Elia Suleiman, avec Chronique d’une disparition (1996) et Intervention Divine (2002) joue à la fois avec l’occupation et les stéréotypes du modèle héroïco-viril des soldats (Abu-Remaileh 2008, Suleiman 2003). De héros, ceux-ci deviennent des pantins mécanisés sans volonté. Avec Le Temps qu’il reste (2009), revenant sur son histoire familiale en Galilée, il présente Tsahal en 1948, avec toute sa violence, mais aussi comme une mécanique vide derrière sa brutalité, se livrant indéfiniment aux mêmes contrôles intempestifs et dépourvus de sens.
En cela, les réalisateurs palestiniens nouent un dialogue à distance avec le cinéma critique de l’institution qui se développe au sein de la société israélienne à la lumière des espoirs des années 1980 et 1990, où se développe l’insistance sur la rencontre, parfois amoureuse, entre des personnes derrière les uniformes et les représentations.
Ce cinéma de l’individu a besoin de tuer les représentations de ses pères pour exister, pour faire exister l’autre et représenter son rapport à l’institution militaire.
C’est ce que font Nissim Dayan, avec On a narrow bridge (1980), explorant un amour entre un soldat et une militante palestinienne, ou Haïm Bouzaglo avec Mariage fictif (1988), où un professeur mal à l’aise dans son lien à l’armée entreprend de vivre la vie d’un Palestinien.
À travers l’exploration des guerres passées et des affrontements présents, la figure de Tsahal au cinéma se complexifie, et tente de revenir sur les mythes fondateurs du pays, ébranlés par les évolutions socio-politiques, que les réalisateurs s’efforcent de mettre en mots et en images.
Si Khirbet Hiza’a avait eu à faire face à une très longue censure, désormais, le cinéma accompagne le travail des nouveaux historiens israéliens (Benny Morris, Ilan Pappé, Ilan Greilsammer) et débat avec eux.
Amos Gitai peut proposer une nouvelle vision, qu’il cherche à rendre réaliste et équilibrée, de la guerre de 1948, présentant à la fois l’indépendance israélienne et la Nakba palestinienne, le sacrifice des soldats et leur brutalité avec leurs adversaires et entre eux avec Kedma (2002), redonnant de la chair à une guerre que le mythe avait déréalisée (Gertz et Hermoni 2008, Skalar 2010). De façon plus personnelle, Udi Aloni explore la culpabilité du massacre de Deir Yassin et interroge la folie guerrière dans son intimité du vécu du soldat face à son adversaire et partenaire avec Forgiveness (2006), où la dépression nerveuse d’un soldat faire revenir au jour les non-dits de l’Histoire de Tsahal. 
Dans ces films se dessine aussi une interrogation du rapport à l’armée, suivant la ligne ouverte par Judd Nee’man avec Parachutistes (1977). Non seulement ce film remettait en cause la figure héroïque, mais il commençait aussi à interroger le militarisme de la société israélienne, qui avait fait de son armée le pivot de la nation.
Ce que les réalisateurs mettent en scène, en particulier à partir de leur expérience de la guerre au Liban et durant les intifadas, c’est leur détestation du militarisme obtus, et ce en remontant le temps jusqu’aux premiers conflits dans lesquels Tsahal a été impliquée (Raz 2011, Lomsky-Feder et Ben-Ari 2012, Kimmerling 1993, Ben-Eliezer 1998, Adelman 2003).
Les officiers, dans ce cas, loin des modèles d’avant 1973 sont présentés comme des brutes passablement machistes, martyrisant les appelés pour en faire des hommes à leur idée. Dover Kosashvili remonte aux années 1950 avec Infiltration (2010) pour dénoncer ce phénomène avec une ironie amère. La fascination pour Tsahal et ses unités d’élite de la part de troupiers mal dégrossis y est ridicule, et finalement mortifère.
Pour les forces de police contemporaine, Nadav Lapid joue du même registre avec Le Policier (2011), dont les héros, tout en muscles et en machisme apparaissent comme des pantins désarticulés dès lors qu’ils sont confrontés à un événement (maladie, bavure, opération non conventionnelle) face auquel ils ne peuvent répondre par la force brute à laquelle ils sont habitués. La fascination pour l’armée dans ces films a pour effet de faire perdre leur âme aux personnages, qui deviennent aussi désincarnés que les silhouettes des héros qu’ils ont admirés dans les films des années 1950 et 1960.

Votre avocate en Israël... 

Parallèlement à cette contestation du militarisme, le cinéma pose la question à l’armée de ce qu’elle fait de ses recrues, du fait de la mise au pinacle d’un ethos viril et violent. Appelés et réservistes sont montrés plongés dans un univers terrifiant, où les décisions qu’ils sont amenés à prendre sont trop lourdes pour eux, aux conséquences parfois atroces, quand le monde militaire ne relève pas de l’absurde.
Ceux qui tiennent le château de Beaufort dans le film éponyme (Cedar 2007) (Raz 2011) apparaissent comme une version israélienne contemporaine des guetteurs du Désert des Tartares de Buzzati. Indéfiniment, et presque poétiquement, ils attendent un ennemi invisible, pour protéger une patrie qui semble les avoir oubliés.
Leurs compagnons de Lebanon (Maoz 2009), qui ne voient la guerre qu’à travers les épiscopes de leur char, traumatisés par la violence qu’ils infligent et l’insensibilité des soldats de carrière permettent de faire ressentir toute l’angoisse de la guerre à hauteur d’homme. Surtout, Valse avec Bachir (Folman 2008), en un long exercice d’introspection, fait revivre la guerre de 1982 à ceux qui y ont participé, avec les marques des traumatismes de la violence qu’ils ont exercée, subie, et laissée faire alors qu’ils étaient en pleine jeunesse (Raz 2010, Stewart 2010, Mansfield 2010, Kohn et Weissbrod 2012).
Face à la Première intifada, Yariv Horowitz évoque une semblable violence et une même absurdité avec Rock the Casbah (2012), tandis qu’Avi Mograbi, cinéaste militant, condamné dans les années 1980 pour avoir refusé de servir au Liban, fait parler les soldats de la violence qu’ils ont infligé et ressenti durant la Seconde intifada avec Z32 (2008), liant son vécu à la société qui a occasionné ces traumas, après avoir lui aussi dénoncé le militarisme dans Pour un seul de mes deux yeux (2005), à l’époque où cette violence conduit certains appelés tout juste libérés à tenter de trouver l’oubli dans la drogue (Flipping out Shamir 2007).
Et ce questionnement ne se limite plus seulement aux hommes. Les femmes appelées sous les drapeaux trouvent leur place également au cinéma, non plus comme témoignages de la diversité du recrutement, mais comme personnages à part entière, accompagnant l’émergence d’un cinéma d’auteur féminin en Israël. Leur vécu au sein de l’armée est désormais un sujet en soi, qu’il s’agisse de leur rapport à la sexualité et à l’autre dans une institution profondément marquée par le machisme (Yossi et Jagger Fox 2002, Une Jeunesse comme aucune autre Bilu et Hager 2005), de leur intégration comme non-combattantes dans une armée dont l’expérience au feu est fondamentale, ou comme exerçant un rôle de contrôle sur les Palestiniens (Une Jeunesse comme aucune autre). Ce rôle masculinisé les place peut-être plus encore que leurs homologues masculins en porte-à-faux entre la violence qu’elles doivent exercer et les personnes qu’elles sont, en tampon entre les deux sociétés, israélienne et palestinienne (Sasson-Levy 2003 et 2007, Klein 1999).
Leur présence au sein de l’armée participe aussi de la réflexion sur les rôles de chacun par rapport à la violence répressive, ainsi quand une enquêtrice doit interroger un héros de Tsahal traumatisé par sa propre violence sur des soupçons de crime de guerre (Room 514 Bar-Ziv 2012). En sus, ces jeunes femmes partagent, au plus haut degré, l’ennui et la petitesse de la vie militaire de leurs homologues masculins (Zero Motivation Lavie 2014).
A certains égards, l’armée elle-même est sensible à ce questionnement sur son rôle. Faisant écho aux débats qui traversent la société israélienne, non seulement elle censure moins, mais elle peut accompagner ces nouvelles représentations, comme dans le cas de Yossi et Jagger, (Raz 2002, 2005) qui traite de l’homosexualité au sein des troupes, projeté dans certaines bases militaires, et qui se développe dans La Bulle, avec l’amour entre un soldat israélien et un immigrant clandestin palestinien (Fox 2006), puis avec sa suite directe, Yossi (Fox 2012).
Cette attitude s’inscrit dans une démarche plus large des institutions israéliennes qui font montre d’une plus grande ouverture face à des films hétéronormes et d’une attention réelle quant à la diversité des situations face à l’institution militaire, au prix parfois de violentes polémiques.
C’est le cas du film de Mohammed Bakri, Jénine, Jénine (2002), charge frontale extrêmement violente contre Tsahal à l’occasion de la bataille de Jénine durant l’Opération Rempart pendant la seconde intifada.
Extrêmement mal reçu en Israël et d’abord censuré, le documentaire est autorisé par la Cour suprême israélienne, considérant que le réalisateur est dans son droit de dire son ressenti quant à ces combats, même si la Cour considère que ce qu’il dit est une forme de propagande (BBC 2004).
Ainsi, si les femmes et les homosexuels au sein des troupes deviennent des sujets importants de films, il en est de même pour d’autres groupes qui s’écartent de l’image d’une armée israélienne monolithique.
La présence de certains Arabes au sein des troupes, les Bédouins qui servent parmi les garde-frontières, est un des enjeux d’Ajami (Copti et Shani 2009), avec le surcroît de complexité que cela entraîne dans leurs relations avec le reste de la minorité arabe d’Israël, et ce de façon nuancée.
Ce même souci des personnes a présidé à la représentation des rapports entre les religieux et l’institution militaire, même si la question est particulièrement propice à la polémique (Abitbol 2002, Cohen 2007, Stadler et Ben-Ari 2003). C’est ce qu’ont voulu montrer Dan et Aaron (Niddam 2008) sur le refus de certains orthodoxes de servir dans Tsahal, et Time of Favor (Cedar 2000) sur des soldats nationalistes-religieux qui tentent de faire sauter l’Esplanade des Mosquées.
Ce faisant, c’est une nouvelle représentation de sa diversité que la société israélienne est amenée à voir sur les écrans, une diversité intersectionnelle, qui ne recouvre pas seulement la diversité des origines, face à la grande institution intégratrice et uniformisante qu’est l’armée.
La représentation de l’armée suit les débats qui agitent la société israélienne, comme le montre le Désengagement (2007) d’Amos Gitai, quand l’armée doit exécuter le retrait de Gaza de 2005, contre une partie de la population qui soutient les colons qui y sont installés.
Si ces films peuvent être vus comme d’auteur, soutenus par les cinémathèques et le réseau des festivals internationaux, ce questionnement constant du rapport à l’armée, de son attitude lors des affrontements s’est diffusé hors d’Israël où des films mettant Tsahal en scène ont cherché à opérer avec nuance, en présentant les différentes faces des conflits.
O Jérusalem (Chouraqui 2006) en est un exemple. Film français, regroupant un casting international, le film retrace la guerre de 1948 autour de la Ville Sainte, en voulant offrir leur place aux différents protagonistes, et en se fondant sur l’acquis des nouveaux historiens.
La même volonté de laisser place aux différents récits, de façon parfois presque forcée se retrouve dans le face-à-face mis en scène par Lorraine Lévy avec Le Fils de l’autre (2012), où l’appel militaire amène deux familles, israélienne et palestinienne, à se découvrir.

Votre avocate en Israël... 

En Israël même, l’image de Tsahal a été profondément modifiée, et elle apparait désormais profondément nuancée et complexe. Avec Hatufim (Raff 2010-2012), le petit écran mettait en scène des soldats prisonniers, retenus pendant des années, et traumatisés par leur captivité, au point de perdre une partie de leur identité.
À travers eux, ce sont les prisonniers du monde réel, ceux de Kippour et des guerres du Liban, qui se trouvaient portés à l’écran. Des hommes à l’opposé de tout modèle héroïque se voyaient représentés avec sensibilité et nuance, la série voulant montrer les ressorts de leur traumatisme et de leur réintégration dans la société, sans porter Tsahal au pinacle, ni en faire une institution face à laquelle la méfiance est de mise.
Cette œuvre, à travers son audience internationale et ses adaptations, à travers les débats auxquels elle donne lieu, est devenue emblématique de cette appréciation complexe du rapport entre une société et ses forces armées (Beylot 2015, Debra 2015).
Fauda (Raz 2015), qui met en scène une unité d’infiltration à la recherche d’un chef du Hamas suit un modèle comparable, et a rencontré le même succès. Comme les prisonniers de Hatufim, ses personnages principaux sont des soldats d’élite placés devant des situations extrêmes et moralement très délicates. Mais, là non plus, la morale n’est pas acquise d’office.
Les soldats y sont faits de chair et de sang. Ils souffrent, meurent, ont peur, et veulent se venger. Le poids que leur mission fait peser sur eux est bien présent, mais sans misérabilisme, tandis qu’ils apparaissent éminemment faillibles : les « héros » apparaissent en train de torturer un prisonnier, sont capables de menacer une famille, et même de faire volontairement exploser un otage.
Et, si les membres du Hamas sont leurs ennemis, la série fait un effort considérable pour les présenter eux aussi dans leur complexité, avec des motivations, des espoirs et des peines équivalents à ceux de leurs adversaires.
Enfin, cette image désacralisée et remodelée de Tsahal a trouvé le chemin de l’humour avec M. K. 22 (Niski, Tzur, Harel 2004), série d’animation pour adultes sur le modèle de South Park, située dans une base militaire supposée abriter l’arme de l’Apocalypse israélienne.
La série déploie son regard politiquement incorrect et moqueur sur l’armée et la société, jouant des stéréotypes réciproques entre Ashkénazes et Séfarades, de la peur d’une « cinquième colonne » palestinienne, du mur bâti autour de la Judée Samarie et plus généralement de l’actualité, au travers de personnages demeurés et incapables.
Cette satire de Tsahal, combinant une influence américaine au type d’humour adulte inauguré par Assi Dayan avec La Colline Halfon ne répond plus est aussi une façon pour la représentation de Tsahal de se retourner sur elle-même, en parodiant parfois le cinéma critique (avec des allusions à Yossi et Jagger), et joue un rôle de poil à gratter empêchant le retour en arrière vers un mythe héroïque.

Conclusion

En dépit d’une histoire relativement courte, l’armée israélienne s’est imposée comme un véritable sujet de cinéma, non seulement en Israël même, et chez ses adversaires, mais aussi au niveau mondial.
Du fait de ses victoires, de l’attention médiatique portée aux conflits dans lesquels elle a pris part, la représentation de Tsahal est devenue un enjeu majeur dans le portrait, à charge ou laudatif, qui peut être fait d’Israël, en même temps que son poids dans la société en a fait un sujet d’interrogation privilégié pour les cinéastes israéliens.
Ce faisant, cette image, depuis ses premiers temps héroïques ou terrifiants, est en elle-même devenue objet de conflit.
En dépit d’une connaissance accrue de certains réalisateurs étrangers des réalités de cette armée, et de tentatives de dialogue autour de cette représentation, par exemple entre Amos Gitai et Elia Suleiman (Toubiana 2003), une dissonance qui n’est pas résolue demeure, et a tendance à s’agrandir au gré des conflits entre les représentations déshéroïsées, parfois grotesques ou très critiques qui ont cours désormais en Israël, et une représentation fantasmatique de force invincible ou brutale que l’on peut voir par ailleurs. Kurtlar Vadisi : Filistin (Sasmaz 2011), film d’action turc de revanche après le drame du Mavi Marmara où Tsahal apparaît comme un gang de brutes sadiques et les films d’Eytan Fox ne semble pas appartenir au même monde, et il est presque difficile d’imaginer que leurs personnages sont enrôlés dans la même armée. Hors de l’aspect polémique, il y a là une réelle question que pose le cinéma à l’action politique et culturelle.
Cette dissonance dans la représentation d’un même objet, quand bien même elle est compréhensible, limite puissamment, tant sont fortes les représentations, les possibilités d’action politique, du fait de représentations non seulement antagonistes, mais totalement divergentes. Ce faisant, ce cas très particulier repose de façon aiguë les enjeux d’influence de la sphère culturelle dans le champ politico-militaire.
À travers le miroir qui est tendu à l’armée israélienne par le cinéma, c’est non seulement une histoire de la représentation d’une armée, avec ses questionnements, sa noblesse, ses échecs, et la réussite qu’incarne son acceptation d’une critique parfois très dure, mais c’est aussi un questionnement sur le pouvoir de l’image et ses implications dans le monde réel qui se pose.

Source DiploWeb
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